Lakshmi Dutt par l'Historienne d’art Claire Morère.

            Mais comment l'artiste Lakshmi Dutt fait-elle pour chorégraphier son geste de graveur ? Juste dans la cadence, dans l'éclat, dans l'effet, sans aucun superflu et pourtant somptueux ?

Lakshmi Dutt incise, burine, roule, fait brûler les résines et encolle, superpose ou soustrait quelque matière légère, en film, en écheveau...On entend le crissement le plus précis du burin venu faire sillon dans le zinc, dans le cuivre, il soulève les copeaux infimes. On entend le chuintement des passages de rouleaux colorés et aqueux, la vivacité du geste qui parcourt le premier dessin, vient danser , ponctuer, s'infiltrer.

Et puis viennent les épreuves, jusqu'à l'apparition d'une étoile.Elle la capte, elle sait, grande observatrice des ciels. Elle a tant et tant senti l'air et la nuit, le vent et l'écart, le flétri et la renaissance, elle a tant de mémoire ! Les vocalises, les mille allers retours de la presse au burin, de l'encrage au frottage, les essais, les étapes, ont placé sa voix, son chant. Virtuose, elle mélodie et crie, joyeuse, émerveillée. Elle n'a pas besoin de contrôler ses dessins. C'est eux qui viennent à elle, au milieu d'improvisation des matières, des gestes, des valeurs et des jeux.

Elle met en présence des mondes, nous met en présence de paysages aux territoires inconnus. Nous sommes à découvert. Dans l'émotion intelligente, quand s'éveille un nouveau regard.Evolution/ Mouvement,/Explosion... Ecarter/ relancer/réinsérer... Suivant/Maintenant/ Cette nuit.. Eclat des signes, petites graphies modestes au pied des estampes. A nous de voir ! L'oeuvre est ouverte, elle nous accueille dans les traits et les passages, les couleurs et les sombres, les inserts de lumière. Géologie et archéologie de l'espace du dedans, de l'espace du dehors.La gravure creuse et absorbe, mémorise les peaux et les textures, prend son temps, capte les temps.

Ces dix dernières années, Lakshmi Dutt emprunte presque les outils de la peinture : Les procédés de Hayter et les gestes de Goetz, déjà, depuis longtemps,lui avaient apporté cette aisance à la couleur sans embrumer la force des contrastes lumineux de l'eau forte.

Actuellement, la technique de la collographie, apporte rapidité et spontanéité. La matière s'ajoute sur la plaque, fait relief. Ces traversées périlleuses, quand elles sont maîtrisées, apportent un renouvellement du métier. L'aléatoire, la découverte, la recherche à mi-chemin du hasard et de la nécessité, font de cette démarche une attitude très contemporaine. Cette gravure est par là très actuelle: Elle pose question sur les gestes et les écritures. Elle parle avec le monde mais aussi avec les territoires de l'art. Elle fait surgir des pensées.

Mon regard est celui d'une française. Je me réfère forcément à des artistes occidentaux qui font tapis dans mon univers artistique. J'imagine que ceux qui ont vécu en Inde, ont senti dès leur première journée au monde, la beauté soyeuse des saris et des senteurs, l'éclat des soleils, des couleurs et des Klaxons,des ragas, des éléphants et des bracelets de verre. Ils visitent ainsi ces images avec une sensation qui nous est étrangère. Mais les les échos sont multiples, et c'est la force de l'expression artistique. Nous - nous projetons dans le « pays » de Lakshmi Dutt.

Les peintres des Avant Gardes, au début du 20em siècle, ont ouvert les rivages d'une peinture abstraite,perdue en occident depuis les grecs et les romains. L'affirmation d'une écriture qui parle sans nommer, qui dessine sans décrire, qui évoque sans imiter.

Lakshmi Dutt a saisi sa chance. Plutôt que l’exil,elle fait apparaître, au rythme des ses épreuves d'artiste, le lien qu'elle a tressé, dans le métier de graveur : mémoires et découvertes, évidences et saturations, éclairs et repos, occident, orient.

Claire Morère

Historienne d’art.